vendredi, 21 mai 2021 14:24

Projet de loi 4 D : les agents de la fonction publique otages des politiques

Loi 4 D bleu

Le projet de loi 4D présenté en Conseil des ministres le 12 mai 2021 est le fruit d’un an de concertation conduite sur tous les territoires par la Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités en 2020 et d’un important travail interministériel.

Quatre-vingt trois articles, contre 66 initialement, ont été retenus pour conforter l’action publique locale.

Plusieurs versions provisoires avaient déjà circulé et les organisations syndicales avaient émis un avis défavorable lors des consultations partielles et limitées du CSFPE (Conseil Supérieur de la Fonction Publique de l’État) et du CSFPT (Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale). De même, le CNEN (Conseil National d’Évaluation des Normes) avait délivré un avis défavorable sur le texte présenté à l’époque.

Ce projet de loi fera l’objet d’une première lecture au Sénat en juillet 2021 et à l’Assemblée nationale à l’automne. On peut imaginer que de nombreux amendements et de longs débats entre les deux chambres sont à venir. Mais la Ministre a précisé que le Gouvernement pourrait déclarer l’urgence, autrement dit une seule lecture par chambre pour accélérer le vote de la loi.

Les sénateurs qui avaient fait 50 propositions jugent déjà que « cette réforme manque de souffle » et entendent, selon la sénatrice Françoise Gatel, « tendre les bras à la Ministre » dès lors qu'elle donnera son accord à un minimum de propositions du Sénat, « entre quinze et vingt ». Elle souligne que « le Sénat propose de pousser le texte plus loin, ou une lettre plus loin, pour atteindre le E d'efficacité ». Et d'ajouter : « Le Sénat sera exigeant mais constructif ».

Les parlementaires, par la voix de l’Association des petites villes de France (APVF) et l’Association des villes de France (AVF) qui ont, aussi, fait des propositions pour  une démocratie locale et une différenciation territoriale plus fortes auront-ils de telles exigences ?

Quoi qu’il en soit, il est inacceptable que les agents deviennent les otages des élus, ballottés au gré de leurs atermoiements de prendre ou non certaines compétences et des négociations politiques avec l’exécutif. Il est intolérable et inadmissible que leurs droits soient bafoués et qu’ils soient traités comme du menu fretin. Or ce risque est grand et le devenir de la Fonction publique de l’État et celui de ses agents pourraient être obérés dans l’avenir, pour différentes raisons :

  • Le texte traite de la quasi-totalité des champs de l’action publique, il s’agira moins de distribuer de nouvelles compétences aux collectivités que de « conforter » celles qu’elles exercent déjà dans les domaines de la mobilité, du logement, de l’insertion, de la transition écologique… Les collectivités qui en avaient les moyens ont déjà pris ces compétences, les autres pourront-elles le faire ou resteront-elles dans un statut-quo qui, de fait, risque de creuser encore plus les divisions et les inégalités entre les territoires ? 
  • Le transfert des compétences aux collectivités territoriales s’accompagnera d’un transfert d’agents, mais qu’adviendra-t-il des agents qui ne souhaiteront pas suivre leurs missions ? Dans quelles conditions auront lieu ces transferts ? Les droits des agents seront-ils garantis, bénéficieront-ils de mesures d’accompagnement à la hauteur des enjeux et des sacrifices qu’ils pourraient être amenés à faire ? 
  • L’article 69 du projet de loi élargit les possibilités de mise à disposition des fonctionnaires de l’État auprès des associations agissant dans les territoires. Cette disposition, selon l’exécutif, permet de promouvoir le « mécénat de compétences » et de « reconnecter les fonctionnaires, et surtout les hauts fonctionnaires, avec le terrain ». Mais la Fonction publique ne se limite pas seulement aux hauts fonctionnaires dont les changements de postes et d’emplois  sont aisés. D’autre part, à l’issue de cette mise à disposition de 18 mois à 3 ans maximum, dans quel service les agents seront-ils ré-intégrés alors qu’on assiste à des vagues de réorganisations et de fermetures de services incessantes ?
  • Enfin, concernant cet article, l’élargissement du champ des associations pouvant bénéficier d’une mise à disposition et de la suppression de l’obligation de son remboursement qui constitue une subvention nous interrogentCe champ était limité aux associations qui contribuaient à la mise en œuvre d’une politique de l’État pour l’exercice des seules missions de service public, or ce dispositif est désormais étendu aux associations d’utilité publique ;ce qui est fort différent.
  • Le développement des mutualisations des fonctions support en particulier (art. 66) entre établissements publics pourrait aussi conduire à des restructurations de services et impliquer des mobilités non désirées. Or, le Conseil constitutionnel avait censuré cette mesure introduite dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP). L’exécutif, aujourd’hui, en intégrant cette possibilité dans le projet de loi, revient à la charge et porte un mauvais coup au lien de confiance existant entre l’administration et ses agents ; cette manœuvre s’apparente plutôt à une tromperie. Comment, dans ces conditions, rétablir la confiance entre les collectivités, l’État et ses agents ? 

Nombre de dispositions de ce projet de loi sont soumises à expérimentation sur une durée déterminée, mais qui supportera les coûts et les conséquences en cas d’échec de l’expérimentation ? Les agents de la Fonction publique ne sont pas des « cobayes »  et pourtant, comme les usagers, ils en seront sans nul doute les premières victimes.

Nombre de dispositions devront également faire l’objet de décrets d’application.

Une vigilance accrue et soutenue s’impose pour ne pas que l’intérêt général et le service public soient bradés et que ses fidèles collaborateurs soient sacrifiés.